Appel à contributions
Ethnologie française
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Appel à contributions
Qu’est-ce qu’un drapeau ?
Approches du dévoilement politique
Coordination
Laurent Le Gall, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Brest (CRBC)
Philippe Lagadec, ingénieur d’études au Centre de recherche bretonne et celtique (Université de Brest)
Argumentaire
Qu’est-ce qu’un drapeau ? La question est évidemment banale. Disons que sa banalité relève surtout de l’incorporation sociale d’un symbole dans les codes culturels au point que des arènes sportives où il flotte aux meetings politiques où on l’arbore quelquefois fièrement, le drapeau fait partie de ces objets on ne peut plus familiers. L’apparence est sinon trompeuse, à tout le moins réductrice. Des souvenirs fugaces des pages vexillaires du dictionnaire que l’on regardait enfant à ceux d’une manif sur laquelle flottaient les pavillons des organisations syndicales, de la prise en main d’un étendard sportif en vue d’encourager son équipe dans un stade à la plantation d’un drapeau régional dans le jardin de sa résidence secondaire, il en va de toute une gamme de pratiques qui s’enchâssent dans des histoires collectives et des trajectoires individuelles. En interroger le sens est à la source de ce projet qui aspire à mettre en lumière, dans un cadre implicitement ou explicitement politique, le travail de fidélisation vexillaire, les formes de liquidation symbolique (quand le drapeau ne se réduit plus qu’à un bout de tissu), les opérations identificatoires, la juridicisation du drapeau ou encore les usages inattendus qui en enrichissent le contenu (liste non exhaustive).
La littérature vexillaire est évidemment pléthorique. Début octobre 2021, la mention « drapeau » sur la plateforme Cairn renvoie à près de 12 000 occurrences. La vexillologie attire toujours de par le monde des spécialistes qui font fructifier la charge émotionnelle des drapeaux. Une évidence saute toutefois aux yeux : si la dimension historique et la part symbolique sont bien documentées, rares sont les travaux qui se sont intéressés exclusivement à ce que le drapeau recouvre en termes de signifiant socialement situé. À bien des égards, le livre que Maurice Dommanget consacra à la genèse puis aux affirmations du drapeau rouge sur la scène politique des 19e et 20e siècles reste un hapax tant il fait la part belle aux « micro-événements » qui n’ont cessé d’émailler son inclusion dans l’univers des représentations et des pratiques prosaïques du politique. Il ne fit toutefois pas florès. C’est bel et bien d’un continent en friche qu’il s’agit quand bien même des chercheur.e.s en sciences sociales ont contribué à son exploration. Michel Pastoureau fait observer à vingt ans de distance : « Le drapeau fait peur au chercheur » [1989 : 119] ; « À la différence d’autres emblèmes nationaux ou d’autres symboles étatiques, le drapeau attend encore ses historiens. […] Le drapeau constitue pourtant un objet d’étude riche de multiples aspects. À la fois image emblématique et objet symbolique, il est soumis à des règles d’encodage contraignantes et à des rituels spécifiques qui se situent au cœur de la Nation ou de l’État » [2010 : 167 et 168]. Constat sans appel. Il serait d’ailleurs pour le moins intéressant d’ausculter en quoi une telle occultation renvoie à des conjonctures disciplinaires, à des évitements teintés d’idéologie (l’intérêt pour le drapeau masquerait au mieux un patriotisme déguisé, au pire un nationalisme fort heureusement démonétisé dans le champ des sciences sociales), à la difficulté de sortir tout étendard de son lexique symbolique aux fins d’en faire le réceptacle et le vecteur de normes peu ou prou institutionnalisées, de pratiques, de savoir-être et de savoir-faire, de valeurs et de sensations.
Qu’est-ce qu’un drapeau ? Arboré sur les bâtiments publics selon des protocoles encadrés par une littérature juridique dont nous ignorons l’épaisseur, sauf quand des « événements » « défraient la chronique » (cf. par exemple le décret n° 2010-835 du 21 juillet 2010 relatif à l’incrimination de l’outrage au drapeau), abonné aux compétitions sportives [Bromberger, 1995] qui lui garantissent une présence télévisuelle inversement proportionnelle à son existence dans certains espaces publics, médiatisé périodiquement à l’occasion de crises politiques, variante obligée de la « fête civique » qui, de la fête révolutionnaire à la fête républicaine, contribua à l’ancrer dans la France des terroirs au prix d’une acclimatation d’un appareil symbolique de plus grande ampleur, le drapeau est ce qui nous ressemble (ou pas), nous appartient (ou pas), nous rassemble (ou pas), nous « oblige » (ou pas). L’on pourrait décliner à l’envi les fils qui tissent la trame et font qu’un drapeau est bien plus qu’un drapeau : transfert de sacralité (des bannières processionnelles aux étendards de la « religion civique » si tant est que l’expression soit pertinente), précipités de la question sociale (que l’on songe aux défilés où les syndicats arborent fièrement leur(s) couleur(s) et leur sigle) et de la question nationale, mimétismes culturels (le tricolore/il tricolore) tapissent de fait certaines études au risque de réduire le drapeau à ce qu’il ne serait que fonctionnellement : un signe de ralliement conventionnel non dénué d’une histoire conflictuelle [dans le cas français, Richard, 2012 et 2017].
Il n’est pas lieu de revenir ici sur la constitution d’un appareil symbolique et sur ses mobilisations : une société est vivable, ainsi que l’avait noté Max Weber, à condition qu’elle soit assise sur un univers symbolique cohérent. Cornelius Castoriadis ne manqua pas à son tour de relever : « Comment et pourquoi la structure institutionnelle, aussitôt posée, devient-elle un facteur auquel la vie effective de la société est subordonnée et comme asservie ? Répondre qu’il est dans la nature du symbolisme de s’autonomiser serait pire qu’une innocente tautologie. Cela reviendrait à dire qu’il est dans la nature du sujet de s’aliéner dans les symboles qu’il emploie, donc abolir tout discours, tout dialogue, toute vérité, en posant que tout ce que nous disons est porté par la fatalité automatique des chaînes symboliques » [1999 : 210]. L’on rappellera toutefois que, cherchant à naturaliser son propre arbitraire culturel, tout ordre politique fonctionne en partie sur un registre sémiotique dont la puissance d’évocation suppose, de la part de ses principaux prescripteurs, l’activation d’un attachement à des signes connus et dotés d’une affectivité. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de l’ouvrage d’Arundhati Virmani sur le drapeau indien que d’avoir montré par le menu comment les acteurs de l’indépendance s’ingénièrent à diffuser une « politique du sentiment » dans le pays en tablant sur l’adéquation entre un pavillon et la formation d’une communauté émotionnelle [2008]. Qu’on le qualifie de « fiction » ou d’illusio, qu’il emprunte préférentiellement, dans le cas français, la voie d’un récit national, l’ordre républicain, comme tout régime de vérité, n’a cessé à son tour de se mettre en scène et de produire un discours autorisé [Ansart, 1977]. Si l’on en juge d’après Les Lieux de mémoire dont le premier tome, La République, commençait par une contribution sur « Les trois Couleurs » [Girardet, 1984], le drapeau y tient une place de choix.
Des réflexions classiques sur le drapeau n’ont pas manqué [Raymond Firth dans le cadre de son anthropologie symbolique, 1973 ; Karen A. Cerulo du point de vue de la relation entre les drapeaux et les hymnes, 1995]. « Qu’un emblème soit, pour toute espèce de groupe, un utile centre de ralliement, c’est ce qu’il est inutile de démontrer. En exprimant l’unité sociale sous une forme matérielle, il la rend plus sensible à tous et, pour cette raison déjà, l’emploi des symboles emblématiques dut vite se généraliser une fois que l’idée en fut née. Mais de plus, cette idée dut jaillir spontanément des conditions de la vie commune ; car l’emblème n’est pas seulement un procédé commode qui rend plus clair le sentiment que la société a d’elle-même : il sert à faire ce sentiment ; il en est lui-même un élément constitutif » : nul mieux qu’Émile Durkheim, dans ses analyses du système totémique [2007 : 343-344], n’a su analyser la fonction de l’emblème dans la société. L’espèce de saturation symbolique qui s’empara de la France de Mai 68 convia Roland Barthes à écrire dans Le Bruissement de la langue : « Une sorte d’adhésion presque unanime à un même discours symbolique semble avoir marqué finalement acteurs et adversaires de la contestation : presque tous ont mené le même jeu symbolique. […] Le paradigme des trois drapeaux (rouge/noir/tricolore), avec ses associations pertinentes de termes (rouge et noir contre tricolore, rouge et tricolore contre noir), a été “ parlé ” (drapeaux hissés, brandis, enlevés, invoqués etc.) par tout le monde, ou presque : bel accord, sinon sur les symboles, du moins sur le système symbolique lui-même (qui, en tant que tel, devrait être la cible finale d’une révolution occidentale) » [1993 : 192]. On doit à Randall Collins, qui dénombra les drapeaux, pendant un an, en divers endroits des France à la suite des attentats du 11 septembre 2001, d’avoir inscrit l’emblème dans une « dynamique temporelle » particulière dont il est foncièrement partie prenante [2004]. Il y ainsi des « conjonctures vexillaires » de plus ou moins haute intensité qui charrient bien plus de choses qu’on ne l’imagine : des émotions, des formes de solidarité (ou, in fine, des appels à la solidarité) dont la visibilité, effective (arborer un drapeau, ce n’est pas rien), mérite d’être interrogée, des (ré)assurances identitaires (au cours d’une crise politique dominée par la « désectorisation » et une incertitude structurelle qui arrache les acteurs à leurs habitudes et brouille leurs certitudes [Dobry, 1987], un pavillon peut devenir moins l’élément routinier d’un décor qu’une proclamation à bas bruit d’un ordre qui demeure, une balise qui (ré)unit ou désunit).
Ces réflexions constituent, entre autres, un des soubassements de notre entreprise dont le sous-titre (Ébauche d’une réflexion sur le dévoilement politique) mérite explication. L’intérêt pour le drapeau en tant qu’expression, mineure, majeure, d’un dévoilement politique, une expression qui renvoie à l’idée que le drapeau est une ressource latente prête à l’emploi, retiendra exclusivement notre attention. Il ne s’agit nullement de répudier toute approche par le symbolique, mais de l’envisager dans un espace social qui est au cœur de son objectivation. Par dévoilement politique, nous entendons tout autant des gestes forts que des pratiques moins ouvertement proclamatoires, plus informelles, qui, du fait de leur inscription dans un univers pensé comme relevant peu ou prou du politique, les « teintent », les « vernissent », les affirment ou les confirment de la sorte. La gamme des dévoilements de même que les enjeux afférents à la notion de dévoilement et à ses expressions ne sauraient être tenus pour une part périphérique au sein de ce projet. Ils sont au contraire au cœur du questionnement si l’on veut bien admettre que l’utilisation du voile (velum) et du drapeau (vexillum) repose sur toutes sortes de justifications et que la notion de dévoilement renvoie évidemment à de plus vastes développements anthropologiques.
Le numéro ne s’intéressera pas uniquement aux emblèmes nationaux. Les drapeaux des syndicats, des mouvements de revendication identitaire, les étendards des supporteurs ou ceux utilisés dans des cadres apparemment folkloriques ont toute leur place dans les contributions qui nourriront la rencontre dès lors que leurs usages s’inscrivent formellement ou informellement sur un terrain politique. L’analyse des gestes et des pratiques des acteurs (de la fabrique aux utilisations : qui porte les drapeaux ? quand les porte-t-on ? à quels autres étendards ou symboles peuvent-ils être confrontés dans certaines situations ? comment une organisation choisit son drapeau et l’impose ?) retiendra tout particulièrement notre attention.
Trois axes principaux sont privilégiés.
Axe 1 : le drapeau, institutionnalisation et étatisation
À Alger, le maqam al-chahid, inauguré en 1982, est le lieu emblématique des commémorations officielles de la Guerre d’Algérie. La première salle présente une version officielle du tandem hymne-drapeau où la « légende » (un drapeau fabriqué par les manifestants du 8 mai 1945 alors qu’il fut imaginé par Messali Hadj, figure honnie du FLN, et sa femme qui était française) le dispute à une pédagogie nationaliste. Parce qu’il est censé contribuer au monopole symbolique que s’attachent des institutions et des groupes, parce que d’aucun.e.s attendent de lui qu’il soit le pourvoyeur de rendements tout aussi symboliques, parce qu’il est un marqueur d’un régime de vérité politique (le drapeau n’impose-t-il pas, in fine, une vérité, en l’espèce politique, qui ne souffre aucune contestation ?), le pavillon se trouve à la croisée de dynamiques et de dispositifs qui visent à son institutionnalisation voire à son étatisation.
L’histoire vexillaire est peuplée d’étendards vaincus, d’emblèmes vainqueurs, de pavillons en sommeil (la « Salle des Emblèmes » du château Vincennes) au point qu’une histoire explorant les mécanismes, les investissements et les attentes liés au fait de capitaliser sur un drapeau mérite d’être tentée. Le « suffrage flag » des suffragettes américaines qui proliféra dans l’iconographie de l’Amérique des années 1848-1920 ne se fit pas contre la « bannière étoilée », histoire de souligner, du côté de ses protagonistes, combien le combat féministe n’avait de sens qu’au sein de la même communauté politique. L’actualisation vexillaire d’un passé mythifié entre folklorisation et marketing identitaire (cf. le pavillon de la Padanie fabriqué par la Ligue du Nord dans les années 1990 [Avanza, 2003]), les registres de complémentarité et d’opposition entre utilisations, exploitations et détournements de « sémiophores » [Pomian, 1987] participent incontestablement à la stylisation de tout emblème. Une chose est sûre en effet : tout drapeau est appelé à s’exprimer en fonction du « drapeau de l’autre » et l’on n’oubliera pas ici combien le Dixie Flag (le drapeau des Confédérés), qui fit irruption dans le Capitole pris d’assaut par des Trumpistes le 6 janvier 2021, est une des bannières de cette « guerre culturelle » opposant des visions radicalement opposées du passé-présent-avenir de l’Amérique. Mais il y a plus. Droit et règlements contribuent à nombre de politiques vexillaires qui se déclinent selon des protocoles dont nous ignorons le plus souvent les implicites et les implications. De la fabrique d’un emblème officiel à son placement sur des bâtiments ou au rôle qui lui est imparti dans certaines arènes, comment s’activent des législateurs dont le travail de codification conforme des pratiques, en exclut d’autres, oriente des gestes et, qui plus est, le sens de ces gestes ? Partant, comment interviennent des agences institutionnelles d’information (l’école, l’armée) dans la mise en place d’une culture vexillaire ? Réunissant tous les élèves américains autour du drapeau depuis les années 1880, le Pledge of Allegiance demeure cette autocélébration nationale dont la routine n’entame pas la sacralisation puisqu’à la différence de la plupart des commémorations qui adossent la valeur du drapeau sur un moment particulier, sa récurrence ne cantonne pas « son » sacré à une journée particulière.
Axe 2 : politisation vs « institution de repos »
C’est l’une des évidences pour qui s’intéresse au drapeau. Sa charge politique peut être – doit être – telle que sa politisation ne saurait faire l’ombre d’un doute. L’affaire est à nuancer. Prenons le drapeau français pour exemple. En invoquant un tricolore « repr[enant] des couleurs » (Le Monde, 19 novembre 2015) – ce qui supposait qu’il en avait perdu –, certains médias n’ont fait que refléter (et répliquer) ce que le processus de stato-nationalisation incubant dans le creuset républicain a fait du drapeau : un objet dont la valence se doit d’être positive surtout dans des situations de crise. Par extension, c’est le même principe qui guide nombre de travaux en sciences sociales. Mesurer le vide ou le plein puis le commuer en un indicateur du consentement ou de la ferveur (nationale, républicaine…) dont l’on observerait les gradients : l’opération a le charme des opérations connues tant elle a été utilisée pour établir la persistance ou la désuétude des rituels et, par extension, les variations d’une culture républicaine à tendance monopolistique – à travers notamment l’assistance à des funérailles ou à des fêtes civiques [Ben Amos, 2013 ; Dalisson, 2003 ; Lalouette, 2010]. Si la rue pavoisée des premières décennies de la Troisième République, que les peintres ont abondamment figée sembla incarner une acclamation républicaine de la souveraineté, que sait-on des dispositions et des intentions des individus qui arborèrent 1 479 drapeaux rue d’Aboukir (Paris) le 30 juin 1878 ? Rien. Bertrand Badie avait souligné il y a plus de trente ans combien le concept de « culture civique » souffrait d’une double ambiguïté, l’absolutisation de la figure du citoyen sommé de l’être à temps complet relevant d’une figure de style et les interactions permettant à des individus de se reconnaître dans un système de significations n’étant que rarement et difficilement prises en compte [1983]. Récusant les lectures internalistes des « effervescences collectives » qui confondent par trop leurs apparences et les investissements dont les dotent les acteurs présents – et entretiennent ce faisant l’illusion qu’elles seraient un sismographe d’un état (civique, républicain, national) du public –, les travaux de Nicolas Mariot pointent avec une grande acuité ce qui est au cœur des échanges symboliques : toutes sortes d’ajustements dispositionnels d’où il ressort que les croyances dans l’action menée oscillent entre la conformation au rôle attendu et des points de vue plus obliques, distanciés, voire indifférents [2008, 2010 et 2012]. Une optique résolument compréhensive invite à considérer préférentiellement le drapeau dans son ordinaire, même dans des situations jugées extraordinaires, aux fins de restituer en quoi il est, ou non, ou presque pas, un-emblème-qui-engage (et si oui, qui engage à quoi ?). Elle convie en outre à ne pas réduire le drapeau à sa dimension exclusivement emblématique, mais à le relier à d’autres formes de mobilisation et à d’autres dispositifs politiques (manifestations, vote, insurrections…) au sein desquels il niche et qui opèrent comme de possibles réverbérations affectant par là même les significations que lui confèrent des acteurs. Un drapeau est rarement quelque chose en soi, il ne cesse d’être en relation avec au sein d’un système sémiotique fait de correspondances incertaines.
L’appel à la revisite d’une histoire « sainte » de l’« effet de drapeau » (« flagging », dans la nomenclature de Michael Billig, l’inventeur du syntagme « banal nationalism » [1995 ; Martigny, 2010 ; Skey et Antonsich, 2017], renvoie à l’imprégnation quasi inconsciente du drapeau dans les représentations et les imaginaires sociaux) ne saurait toutefois se résumer à une contre-histoire qui serait tout aussi abusive. L’on fera en effet le pari que l’angle du nationalisme, dans sa dimension banale ou d’indifférence, est une clé opportune pour appréhender plus finement comportements et pratiques liés aux pavillons. Lien entre le citoyen et l’État sur un mode à ce point routinisé et incorporé qu’il en devient obscur pour la plupart des membres d’une communauté politique, le drapeau reste une ressource qui peut être utilisée par l’État pour mobiliser au nom de la nation ou pour justifier des discours prônant l’unité autour de l’emblème – et de ce qu’il est censé recouvrir. À l’autre bout du spectre, les « indifférences au nationalisme », ainsi que l’a souligné Tara Zahra, offrent de rendre compte de la complexité d’un processus (en gros du nationalitaire au national puis au nationalisme et inversement) dont la dimension apparemment totalisante occulte par trop ce qui est en son cœur : les façons dont les acteurs les moins impliqués (soit la masse) se débrouillent avec un processus auquel ils sont censés participer [2010]. La notion d’indifférence invite dès lors à revenir sur les questions classiques de la conscientisation du nationalisme, du consentement à la mise en ordre d’une communauté virtuelle dont le projet exclusiviste se nourrit de sa capacité à obliger et/ou à générer de l’adhésion. Si le drapeau convie à ce que nous nous interrogions paradoxalement, compte tenu du sens dont on le dote communément, sur les liens potentiellement ténus avec un ordre national entendu comme un ordre de référence et, partant, sur des gradients d’indifférentisme, il incite a contrario à regarder du côté des entrepreneurs d’identité nationalitaire. Par entrepreneur d’identité, dans la foulée des travaux anglo-saxons sur les « claim makers »[John D. McCarthy et Mayer N. Zald, 1977], nous entendons l’entrepreneur qui œuvre à la fixation, de façon plus ou moins cohérente, de manière plus ou moins formelle, des contours d’un groupe d’appartenance dont il travaille à la cohérence et à la représentation (symbolique tout autant que politique). Cette définition, hâtive et grossière, suggère d’analyser l’entrepreneur au sein d’un marché identitaire mû par des intérêts congruents et/ou dissemblables qui participent tous de son élargissement et de la pérennisation de l’illusio sur laquelle il a été fondé. Elle invite à rendre compte, à travers ce qui se joue autour d’un drapeau, de l’inertie du schème national(itaire) dans un monde où la globalisation ne génère que de très infructueuses tentatives d’élaborer un emblème international(itaire) – qui connaît le drapeau des Nations-Unies ?
Axe 3 : placer, montrer, arborer : anthropologie du geste et sensibilité vexillaire
Un article classique d’Henri Lévy-Bruhl opère une distinction entre un formalisme antique fondé sur l’affectivité et un formalisme moderne à visée purement utilitaire. Le premier, d’essence religieuse, parlerait davantage au cœur qu’à l’esprit et serait l’apanage des sociétés primitives tandis que le second, dit « de sécurité », caractériserait les sociétés modernes en quête d’instruments fonctionnels. L’opposition est un tantinet réductrice, comme le concède Lévy-Bruhl, à propos du drapeau : « Certains symboles, certains emblèmes restent entourés d’un sentiment très proche du sentiment religieux, ou tout au moins sont susceptibles de susciter un dévouement allant jusqu’au sacrifice de la vie. Qu’on pense, par exemple, au drapeau » [1953 : 58, note 2].
Peut-on parler d’une sensibilité vexillaire comme Norbert Elias identifia un habitus national [1989] ? La question mérite d’être posée. Elle renvoie à des interrogations qui ressortissent tout autant aux « contextes émotionnels » qu’à l’acclamatio visuelle, contrechamp d’une démocratie libérale qui ne serait qu’électorale [Ihl, 2015], mais encore aux attitudes sémioclastes [Fureix, 2019] qui insistent sur la dissidence et la résistance à un ordre politique s’affichant quelquefois lors d’une guerre des signes. « Signifiant flottant » pour reprendre le lexique lévi-straussien, « réserve du symbolique » [Reichler, 1992], élément au « triple caractère sensible, émotionnel, apotropaïque » [Ory, 2020 : 280], tout emblème n’existe que par l’usage qui en est fait et sa visibilité dans l’espace public (et en ses lisières).
Le sens pratique des choses pratiques : il y a là un continent obscur qu’il serait d’autant plus intéressant de documenter qu’il éviterait toute esthétisation de la scène vexillaire. Objet pictorialisé, photographié, incarnation d’un flottement qui, métaphoriquement, enjoint au soulèvement [Didi-Huberman, 2016], le drapeau, est-il besoin de le préciser, c’est tout d’abord un de ces « arts de faire » qui « mettent en jeu une ratio “ populaire ”, une manière de penser investie dans une manière d’agir, un art de combiner indissociable d’un art d’utiliser » [De Certeau, 1980 : 15]. Philippe Artières a d’ailleurs ouvert la voie. Son travail sur la banderole s’ouvre sur ce constat : depuis son apparition moderne au début du 20e siècle, « l’objet perdure et la technicité qu’il réclame n’a pas beaucoup varié. […] Qu’on la porte ou qu’on la fixe à un support (des grilles, une balustrade, une façade), elle est quasi identique. Et c’est bien ce semblant d’immuabilité que ce livre explore » [2013 : 18] de sorte qu’au fil des pages l’on comprend toujours un peu plus combien la durabilité d’un objet éminemment politique repose sur un feuilletage de pratiques qui ne cessent d’en authentifier la puissance d’évocation/d’invocation. Que procure le fait de confectionner un drapeau, de pavoiser, de voir un drapeau, de le regarder ? Quel(s) sens met-on en action et selon quel(s) processus ? La « monstration », entendue comme une re-présentation qui ne vaut plus pour sa capacité de substitution, mais pour son intensité [Marin, 1993 : 18], s’applique-t-elle à ce type d’emblème comme elle pourrait s’appliquer à des bannières processionnelles ? Autant de questions dont on gagera qu’elles trouveront des débuts de réponse voire des explications à l’aide des paradigmes utilisés dans les visual studies [Boidy, 2017]. L’on suggère de porter ici son attention sur la matérialité vexillaire et sur les gestes qui l’accompagnent. Acheter un drapeau, réemployer celui qui traine dans un grenier et dont on souvient qu’il flottait de temps à autre sur la maison de ses grands-parents, le fabriquer de toute pièce, trouver le meilleur emplacement sur le balcon pour l’afficher ne sont pas des détails anodins. Ils disent les engagements en sourdine tout comme ils peuvent manifester une routine Ils invitent à questionner le « genre du drapeau » (des femmes qui cousent, des hommes qui pavoisent : stéréotype ou non ?). Ils soulignent quelquefois la prégnance du pouvoir des images. Plus qu’un élément d’un décor, le pavillon mis en image peut être aussi autre chose : une mise à disposition d’un répertoire iconographique contribuant immanquablement à des mimétismes. L’image emblématique des pompiers de New York hissant le Stars and Stripes sur les décombres des tours du World Trade Center le 11 septembre 2001 rappelle ainsi combien un geste est réactualisable à l’aune d’une autre image entrée dans le légendaire national : « Raising the Flag on Iwo Jima », la photographie prise par Joe Rosenthal le 23 février 1945 [Chéroux, 2009].
Individuelles ou collectives, liées peu ou prou à des initiatives voire à des politiques publiques de pavoisement, les mobilisations vexillaires composent ainsi une grammaire axiologique eu égard aux valeurs dont elles sont dotées. Le double prisme de la matérialité (quelle résonance est attendue d’un drapeau digitalisé affiché sur un réseau social ? sur une plaque minéralogique ?) et du geste offre, à ce qu’il nous semble, de resituer toujours plus le drapeau dans une économie symbolique où le feuilletage du temps, dans ce qu’il génère d’un conformisme social, se conjugue avec des expériences inédites. Le « traumatisme vexillaire » de la défaite de 1870 en France, tel qu’il est présenté dans La Débâclede Zola (1892), affecte au tricolore les fonctions d’une relique. À Skelmanthorpe dans le Yorkshire, les radicaux d’un mouvement chartiste très féru d’étendards, enterrèrent un drapeau fait en 1819 pour le protéger ; matière à une biographie d’objet [Bonnot, 2014], il fut exhumé et déployé de nouveau lors de diverses manifestations radicales, au moins jusqu’en 1884 [Roberts, 2020]. Qu’il s’agisse du porte-drapeau (ou de la « femme-drapeau » : Jessie Norman chantant la Marseillaise le 14 juillet 1989) dont on postulera, peut-être à tort, que le sens qu’il donne au pavillon relève du sacré, du militant qui l’arbore dans des manifestations ou du quidam qui l’utilise à l’occasion, force est de constater que le drapeau demeure cet objet populaire, usuel et par trop souvent muet dont cet argumentaire n’a esquissé que quelques traits.
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Le projet « Qu’est-ce qu’un drapeau ? » nourrit plus largement l’ambition de proposer une réflexion sur la notion de dévoilement politique et d’en faire un instrument suffisamment pertinent pour lire, à nouveaux frais, les questions de la stato-nationalisation, de l’everyday nationalism ou de la citoyenneté ordinaire dans un cadre international et une optique résolument comparatiste (rappelons ici que le pragmatisme sociologique a très rapidement considéré les opérations de dévoilement comme des éléments décisifs dans l’émergence, la montée en puissance, la quête de légitimité des causes les plus diverses). Qu’est-ce qui fait que le drapeau, dans ce qui fait qu’il est un drapeau (un miroir, quelquefois sans tain des aspirations politiques et des conformations sociales), divulgue des secrets ? En quoi, parce qu’il reste une ressource disponible et bon marché, efficace dans sa présentation et dans sa représentation, contribue-t-il à spécifier des choses (sentiments, registres de la loyauté ou de la défection, etc.) qui, sans qu’elles ne soient ouvertement dites, restituent ce qui permet, entre autres, à une communauté politique d’exister : les capacités d’attachement des individus à ce qui fait que le pouvoir est le pouvoir, un arbitraire/arbitrage qui, parce qu’il a besoin d’un perpétuel travail de confirmation [Boltanski, 2009 : 135 et suiv.], suppose desdits individus qu’ils puissent l’investir de toutes sortes de manières et, partant, de jouer avec ce que sur quoi le pouvoir repose, un jeu autour du dévoilement en ses latitude interprétatives.
Calendrier
Les propositions de contributions (titre et résumé de 4 000 à 6 000 signes, références bibliographiques incluses, en français ou en anglais) sont attendues pour le 31 janvier 2022. Elles mentionneront les principaux axes de démonstration ainsi que les matériaux (enquêtes et/ou archives) mobilisés et seront assorties d’une notice bio-bibliographique de l’auteur.
Elles doivent être envoyées aux coordinateurs du dossier, Laurent Le Gall (llegall2@univ-brest.fr) et Philippe Lagadec (philippe.lagadec@univ-brest.fr)
La sélection des propositions sera transmise aux auteur.e.s courant février 2022. Les textes définitifs (de 35 000 à 70 000 signes max., espaces et bibliographie compris) devront être envoyés avant le 31 mai 2022.
La publication de ce numéro d’Ethnologie française est prévue pour le printemps 2023.
La mise en forme des articles retenus s’appuiera sur la note aux auteurs de la revue : http://ethnologie-francaise.fr/proposer-un-varia/.
Références bibliographiques :
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